21
La suite au salon !
Dans une attitude classique. Mondaine, un peu, si tu vois ? On ne va pas jusqu’au petit doigt levé, d’abord parce que ça ne se fait plus que dans les sous-préfectures, et aussi parce que j’ai plus la force de lever quoi que ce soit après tout ce que t’ai raconté !
Sans compter ma blessure, hé, l’ami ! Note que le sang se refait plus vite que le f…, mais quand même, t’as la douleur sapante qu’est là, qui te rogne, te grignote, te décrépit gentiment, pareille à des charançons obstinés.
— Il est vraiment mort ?
— Je n’ai jamais vu revivre un carbonisé, même sainte Jehanne d’Arc n’a pu renaître de ses cendres.
— Oh, quel bonheur !
— Vous, au moins, vous ne cherchez pas à travestir vos sentiments !
— A quoi bon ! Après ce qui vient de se passer entre nous, je n’ai guère envie de vous jouer les veuves éplorées. J’aimerais danser, pour fêter ça. Vous voulez bien me faire danser, dites ?
— Vous le haïssiez à ce point ?
— Pire ! Mon point de haine n’est pas discernable.
Je la contemple, si belle, si noble, si jeune, si sauvage, et frémissante. Quelle drôle d’idée il avait, Albrecht, d’aller se retrombonner la mère Angèle, ce veau mal repeint dont la carrosserie devait crouler de partout ?
Les bonshommes ont de ces passions à la gomme, je te jure ! Plus leurs nanas sont fraîches et jolies, plus ils aiment les doubler avec des boyaux faisandés.
Après tout, c’est une forme de la volupté, ça.
— Vous, l’épouse d’Albrecht, une gamine. J’en frémis.
Elle pouffe.
— Quel âge me donnez-vous donc ?
— Vous n’êtes sûrement pas majeure…
Repouffade de la charmante.
— J’ai trente-deux ans !
Te dire que j’en suis pantois serait me situer nettement au-dessous du niveau de la vérité, comme le dit si simplement un grand écrivain dont je connais.
On est là, à se regarder. Moi, je peux pas détacher mes yeux, même avec du K2R (publicité absolument gratuite). Curieux comme des êtres conservent intact ce bien précieux entre tous qu’est la jeunesse, ainsi que l’écrivait Machin, le cousin de l’autre, çui qui a une bicyclette à dix vitesses et qui se sert d’un manche à couilles pour bouffer le gigot. Elle est fabuleusement préservée, cette fille. D’une juvénilité qui, dès lors qu’on connaît son âge, paraît éternelle. Y aurait des gonzesses à l’Académie, faudrait l’élire au fauteuil de Jean Dutour et la mettre secrétaire perpétuelle, elle remplirait à merveille ce rôle si utopique.
— Il y a longtemps que vous avez épousé Albrecht ?
— Dix ans.
— Et ça n’a pas été une réussite ?
— Ce fut une sorte d’inceste.
— Il est de votre famille ?
— C’est mon oncle par alliance. Il m’a élevée… Ce qui est une façon de parler, car j’ai vécu dans des instituts pour orphelines aisées à partir de ma cinquième année. Sa première femme était la sœur de ma mère…
— Angela ?
— Angela était sa seconde épouse. Moi, je suis sa troisième. Quand il a été veuf, il s’est marié tout de suite après avec cette garce. Elle ne voulait pas de moi auprès d’elle, et c’est alors qu’on m’a mise en pension. Il venait me voir deux ou trois fois par an, en coup de vent. Et puis au bout d’une douzaine d’années, il a divorcé, et c’est alors qu’il m’a reprise chez lui.
Elle se confie, et je sens le soulagement sur sa ravissante frimousse. Elle veut que je comprenne son cas, la raison pour laquelle la mort de Karl Albrecht est une joie pour elle.
Triste histoire, sombre destin. Navrance humaine.
— Quel est votre nom ?
— Gertrude.
Ça ferait marrer si elle pesait vingt kilos de mieux et si elle avait des verrues sur la frite. Mais c’est adorable, la concernant. Ça lui va comme une capote anglaise à un collégien. Gertrude…
Je lui prends la main, la baisotte à lèvres extasiées. Lui salive l’épiderme pour l’assurer de ma célérité et de ma sécrétion.
— Dites encore, douce fleur.
Merde, de toute beauté ! Je cause comme si je traduisais du japonais !
Douce fleur, je me croyais pas capable. Ça fait vachement pays du matin triomphant, non ? La poésie after le coït, normal. Français !
Elle dit sa vie pour conte de Dickens… Un Dickens qui se serait aligné sur la littérature moderne et deviendrait porno. La manière que son tonton-tuteur se l’est payée, Gertrude. Elle était innocente, la chérie. Oie immaculée. Très impressionnée par l’autorité de l’Autrichien (de ma chienne), sa prestance, son élégance. Lui, il l’a entourée de tendresse, au départ, si tant et bien tellement qu’elle en fut bouleversée, l’amour. Et les marques d’amour tontalien dégénérèrent peu à peu, saligaud, va ! On passa au mimi appuyé, à la lichette sur la nuque, à la gentille caresse mammaire, au bitougnet acoustique, à l’anguille sous roche, au some like it hot et enfin, à la douce carambole dans des pénombres parfumées de lys ; voluptueuse en plein, suave, douce, lascive, à l’abandon vertigineux. Bref, Gertrude devint sa chose, sa maîtresse innocente qu’il façonna, éduqua, tout ça bon, parfait, très bien… On suit la trajectoire sans encombre. L’humain, la trique, les sens, le fade, prends-moi, mets-moi le doigt là, plus haut, traite-moi de salope, va plus doucement, tourne à gauche, tends la main, suce, refais, arrête, plus vite, chante, ferme la radio, tire le rideau, rajoute deux doigts, dis-moi que tu m’aimes… La vie, que je te dis, hé, baudruche ! Bien vicelarde, componctieuse et ardente, selon.
Des années, il se l’est baladée dans les extases, la merveilleuse Gertrude. Et puis enfin, la grosse décision : « Je t’épouse. » Tu te rends compte de l’apothéose que ça représentait pour cette gentille gosse, ô mon Lecteur mal Retapé ? Ce conte d’Orphée. Ce panard éblouissant. Elle, la mignonne, farcie de tous les bords par un technautrichien, enamourée de triglettes, devenant la femme de ce beau mâle si riche en savoir, si superbe d’allure. Corps diplomatique, les soirées de gala, les réceptions…
Hélas, hélas, hélas, comme disait le grand Machin, les bons contes de fée ne font pas les bons amis. Il fallut déchanter. Bientôt le beau Karl (à cornichon) la délaissa. Ensuite vinrent les rebuffades. De là on passa aux sévices. Et ainsi, l’existence de la pauvrette devint un enfer (à cheval). Albrecht la séquestrait positivement, la battait, découchait cinq nuits par semaine et, les deux autres, ramenait des amis à la maison, en compagnie desquels il la forçait de partouzer, l’abject fumelard que rien que de parler de lui, j’en prends des picotements dans les poings malgré qu’il soit réduit en cendres.
Naufrage d’une nymphe, on aurait pu intituler son histoire. La chute d’un ange c’est déjà pris. Hein, qu’en penses-tu de « Naufrage d’une nymphe » ? T’aimes pas ? T’as raison, c’est con. Bon, alors on intitule pas.
Et alors, moi qu’arrive, au petit, au tout petit matin, beau comme un dieu qui ne serait pas trop mal foutu de sa personne, le calbute arqué dès le premier regard, le goume plus costaud que du cœur de chêne, moi qui te la reluis au super-Miror, à la cosaque de l’époque Blanche, avec des initiatives étourdissantes de brio : la colombe gavée, le diabolo amante, le vertige du professeur Chpruck. Moi qui l’empâme en grand seigneur, si bellement et fortement que j’ai cru lui voir gicler des étincelles. Moi qui la confesse comme un ami sûr, compréhensif, d’une intelligence profonde à foutre le vertige au général Massu. Rends-toi compte, mon Lecteur de Semaine, si elle biche, cette tendresse. Le havre de Val-de-Grâce que je représente ! Quelle radieuse plage de repos moral, de félicité physique. La manière bouleversante dont je suis le bienvenu.
Quelques coups de klaxon, qui se voudraient discrets, partent de la street. Mince, avec cette aventure délicate, j’ai complètement oublié mes archers, mézigue.
Je précipite à la fenêtre. En bas, je reconnais Pinuche, et son bitos gondolé. A cause de la perspective plongeante (cet ennemi de l’humain comme a écrit Sartre dans la Nausée) il ressemble à un vieux champignon, César. Catégorie vesse-de-loup. T’appuies dessus, il part un petit nuage couleur de souffre.
— Ça se passe bien ? demande l’Inquiet.
— Pas mal !
Il me montre une chignole stationnée derrière la mienne.
— Ils sont là.
— Alors montez !
Je reviens à Gertrude.
— Vous voudrez bien me pardonner mon audace, douce amie, mais mes hommes sont en bas, qui m’attendent, et je me suis permis de…
— Vous faites bien. Il y a des formalités à propos de la mort de Karl ?
— Mon Dieu, compte tenu de la façon dont elle s’est produite, attendez-vous à pas mal de va-et-vient dans les heures qui viennent. Vous lui connaissez des ennemis ?
— Non. Mais, vous savez, je ne sais rien de précis sur sa vie. C’était un homme extrêmement discret. Je ne connaissais que ses mœurs parce que cela, il prenait un plaisir sadique à l’étaler.
Je n’attends pas que mes équipiers sonnent pour aller leur ouvrir. Ils se pointent queue leu leu. Pinuche en fer de lance, de face, il n’a plus l’air d’un champignon moisi, mais d’un cintre à habit supportant une vieille gabardine déliquescente.
Il est suivi de Maud, et le Gravos ferme la marche.
Sa Majesté rouscaille :
— On se gelait les frangines, en bas. Dis, t’y prends tes vacances dans cette crèche ?
— Entrez, et soyez corrects. Otez vos chapeaux, essuyez vos pieds, et dites bonjour à la dame.
— On pourrait p’t’être aussi faire le ménage si elle serait en rade de main-d’œuvre ! grommelle l’Irascible.
Toutefois, ils obtempèrent.
Je referme la porte, les guide au salon. Gertrude est allée passer une robe de chambre. Je souris à Maud.
— Vous ne m’en voulez pas trop pour le dérangement, petite ?
— Je ne vous en voudrais pas, si votre pachyderme se comportait un peu mieux. Sous prétexte que je travaille dans la galanterie, il a voulu à toute force abuser de moi. Et comme je refusais, il m’a menacée.
Gradube hocha la tête :
— Entendre déformer les faits de cette manière, je te jure, y a de quoi se filer en pétard.
— C’est pas vrai, peut-être ! éclate Maud.
Le Majestueux recoiffe son bitos, car il est pour lui signe d’autorité. Nu-tête, il se sent à merci, le Gros. Fragile. Il se balade à poil sans sourciller, mais à condition de conserver son bada. Les monarques ceignent une couronne pour rendre les autres à l’évidence de leur majesté, lui, il ceint son galure.
— C’est de la voir se linger, explique-t-il. Tu regardes sans broncher une bergère enfiler ses bas, toi ? Je dis bien : des bas, pas des collants à la gomme. Moi, j’en chope la danse de Saint Glinglin, mon pote. Et quand cette péteuse vient prétendre que je voulais abuser d’elle, elle cherche à créer l’incident. Tu sais ce que j’y ai demandé ? Dis, pour voir… Une pipe ! Une simple pipe pour petit commerçant de sortie. De la part d’une mousmé qui y va au calumet dix heures d’enfilée, comme c’eusse pu la gêner en quoi que ce fut. C’est bien de la mauvaise volonté ou j’ m’y connais pas, non ?
— Viens par ici, Béru.
Il me suit, tête basse, jusque dans le hall, la queue pendante, s’attendant à une admonestation (service). Par la porte vitrée, je regarde Pinaud et la pétasse, en plein mutisme. Le mité dodeline, mourant de sommeil. Maud examine le salon, impressionnée par le luxe étalé là.
— Que faisait Maud quand tu t’es pointé chez elle ?
— Elle roupillait.
— T’es sûr ?
— J’ai eu assez de mal à la tirer des toiles.
— Tu as visité son appartement ?
— Tu parles. Mais y avait personne.
— Rien de particulier à signaler ?
Il a un bon sourire de barbet (d’Aurevilly), si tant est qu’on puisse considérer comme étant un sourire le rictus de certains clébards.
— J’ te demande qu’une chose, mec.
— Voui ?
— Renifle son imper.
— Pourquoi ?
— Renifle-z’y, j’ te dis ! répète avec obstination le Chevalier Mystère.
— Rien d’autre ?
— Terminé.
— Elle a fait du suif pour te suivre ?
— Elle a râloché, naturellement. Mais comme j’ai piqué ma crise…
Nous revenons au salon.
— Mettez-vous à votre aise, Maud, je recommande, vous devriez ôter votre imperméable.
Elle secoue la tête :
— Inutile, je ne veux pas m’arrêter, dites-moi ce que vous me voulez, ce qu’on fiche ici, et je disparais, j’en ai sérieusement ma claque de vos réquisitions répétées.
Je ne me laisse pas intimider. Mieux, aucune impatience ne déforme mon timbre de velours côteleux.
— Je pense que nous risquons d’en avoir pour un bon moment, mon chou, quittez votre imperméable, vous dis-je.
— Je veux m’en aller.
— Vous vous reposerez demain, je ne pense pas que dame Angèle ouvre boutique. Y aura de la navrance dans les calbutes, tout à l’heure, sur son paillasson.
Elle rechigne, mauvaise :
— Chez qui sommes-nous ?
— Des amis.
— Je veux aller ailleurs, vos amis ne sont pas les miens. Emmenez-moi à votre succursale des Champs-Elysées si vous y tenez, mais je ne resterai pas chez des gens que je ne connais pas. D’ailleurs, je vous ai suivi de mon plein gré, vous n’aviez aucune qualité pour m’emmener ici.
Elle est sûre d’elle. Elle me défie.
Je me penche sur elle, mutin, joyeux. Je respire en subtilité, et l’odeur me parvient. Atténuée déjà, s’estompant, mais identifiable.
Gertrude revient, époustouflante dans une espèce de kimono de soie noire à parements d’argent, fendu très haut sur le côté, si bien que quand elle marche, tu lui découvres ce qu’elle possède sans doute de plus beau : ses cuisses.
Je regarde les deux filles. Ma conviction est qu’elles savent mutuellement qui elles sont.
— Vous vous connaissez, je suppose ? jeté-je négligemment.
— Oui, dit Gertrude.
— Non, fait exactement en même temps Maud.
Elles ont un haut-le-corps de surprise réciproque, aucune ne s’attendant à la réponse de l’autre.
— Il semble qu’il y aurait un désaccord sur ce point ? je dis.
Tu materais la trombine de mes écuyers ! L’exorbitance de leurs quinquets, madoué ! La manière goulue qu’ils admirent Gertrude. A s’en faire gicler les gobilles. Bérurier bave littéralement. Pinuche s’est entièrement réveillé. Il roule son chapeau flétri entre ses doigts tremblants comme il le ferait d’un journal ou d’une partition musicale.
— A vous, madame Albrecht ? dis-je.
Elle hausse ses chères épaules.
— Mademoiselle est déjà venue ici une ou deux fois, pour ces soirées… délicates dont raffolait mon époux.
Je me tourne vers Maud.
— Réponse ?
La « collaboratrice » de feue Angela me décoche une moue jemenfoutiste.
— Après tout, je ne veux pas être plus royaliste que la reine. Je disais « non » pour préserver la réputation de Madame ; la mienne, vous savez, n’a plus rien à craindre des taches.
— Donc vous êtes venue ?
— Puisqu’elle vous le dit.
— Vous connaissiez Karl Albrecht ?
Elle hésite, regarde presque timidement Gertrude et articule :
— C’était un client de la maison, oui.
— Assidu ?
— Très.
— Avez-vous remarqué si lui et Angèle entretenaient des relations… heu… particulières ?
— En effet.
— De quel ordre ?
— Une certaine intimité. Cela ressemblait à de la tendresse…
Je répète, pour moi :
— A de la tendresse…
— Bon, là-dessus je me débine, fait Maud.
— Non.
— Osez m’en empêcher !
Elle a perdu sa gentillesse. Son regard est dur comme deux cailloux noirs au fond d’un ruisselet. Je dis ça, parce qu’il me revient en mémoire une source de mon enfance, dans une campagne dauphinoise. Les paysans avaient aménagé une espèce de bassin carré, avec d’immenses pierres plates, pour l’accueillir à son sortir.
Il y avait des cailloux noirs, dans le fond. Et puis des sortes d’algues ondulantes, et des têtards peureux. Mais la flotte était bonne, très fraîche, et chacun venait y emplir des cruches avant les repas. On se rappelle des choses, comme ça… D’une seconde à l’autre. Fortuitement. Des images. Des plongées dans le passé. T’aimes pas, toi ?
Elle me défie, Maud, Elle veut partir. C’est net, carré, définitif. Elle ne s’en laissera pas compter. Sa décision est bien arrêtée. D’ailleurs, elle nous adresse un geste circulaire de la main, presque impertinent, et se dirige vers la sortie.
Je bondis afin de l’alpaguer par une anse.
— Suffit, môme, c’est moi qui commande.
— Vous ne commandez rien du tout, j’ai été poire en suivant votre gros bœuf, et si vous m’empêchez de sortir, je téléphone à la police.
Elle ajoute :
— A la vraie !
Et puis me goguenarde à bout portant, la salope, si vilainement que je ne puis m’empêcher de la torgnoler. Elle crie, titube. J’en profite pour la catapulter dans un fauteuil.
— Béru, veux-tu mettre les menottes à mademoiselle ?
Il s’empresse, lui, plein de la rancune de sa pipe rentrée, tu connais l’oiseau, son esprit de jouissance et tout ? Il déplore dans l’intérieur de son for qu’elle ne soit pas un mecton, Maud. Comment il l’aurait châtaignée, savatée d’importance.
Clic, clac. La v’là entravée. Psychologiquement, c’est tout de suite la grosse détresse, le cabriolet. Même un truand chevronné, quand il se retrouve avec les cadennes, il dérape dans les mélancolies. L’homme, faut qu’il puisse se gratter la raie du derche à tout bout de champ, sinon il devient inapte et consterné de partout.
Elle est verte, Maud. Un peu plus, même… Si t’aimes le poireau, viens-y voir. De la toute belle chlorophylle, mon Lecteur Anémié.
Elle reste prostrée un bout de moment, à considérer les bracelets nickelés, la chaînette façon gourmette. Et puis elle re-insurge.
— Vous n’avez pas le droit. Vous n’êtes pas des policiers. Vous n’avez pas de mandat. Vous…
— C’est vrai ? me murmure Gertrude. Vous n’êtes pas des policiers ?
— C’est tout comme.
Elle prend peur. Regarde autour d’elle avec éperdumence, comme si elle espérait le secours de l’enchanteur Merlin (pas çui de la Vendée qui te fait crédit, l’autre).
— Soyez sans crainte, vous ne risquez rien.
Depuis un moment, le Gros tripote un appareillage de stéréophonie. Touche-à-tout maladroit, bientôt un bouton molleté lui reste dans la main.
— Tiens, j’y pense, dit-il en le jetant dans la cheminée. Ecoute voir un peu, Sana !
Il a la gravité qui décide. Je le rejoins au fond de la pièce.
— Je me rappelle d’une chose, gars. Chez la Maud, y a un magnétophone, un picupe, des disques… Entre z’autres, çui de la Marseillaise.
C’est la secouée dans mon esprit. L’éclairage total.
Quel œuf ! L’enregistrement trouvé chez Julie a été réalisé chez Maud ! C’est donc en compagnie de Maud que se trouvait Hans Kimkonssern. Je ne m’en étais pas gaffé une seconde.
Ebloui, je m’adresse à la donzelle.
— Dis voir, chérie, la bande que vous passiez au colonel Alexandre Legrand, c’est toi qui l’avais réalisée ou pas ?
— Foutez-moi la paix, je veux m’en aller.
— Réponds !
— Non, partons. Emmenez-moi chez vous, dans votre agence. Je ne veux plus rester chez cette femme. Filons ! Filons !
Alors je comprends un truc, mon Lecteur Engorgé.
Comme j’ai compris chez moi, au cours du dîner, que l’on tenait à me faire filer de mon logis, je comprends enfin que Maud a peur de s’attarder chez les Albrecht.